ON ENTEND SOUVENT DIRE QUE LA MUSIQUE, TOUT COMME L'AMOUR, EST UNIVERSELLE. TOUTEFOIS, LES MUSICOLOGUES ET ETHNOMUSICOLOGUES DU MONDE ENTIER SONT LOIN DE S'ENTENDRE SUR LE SUJET... Par Véronique Harvey
«Il y a bel et bien un caractère universel à la musique, qui transcende les cultures, qui est très basique, et qu'on va même retrouver chez les animaux: il s'agit du fait que la musique exprime un langage émotionnel de base», explique d'entrée de jeu Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l'Université de Caen et chercheur spécialisé en perception de la musique.
Le meilleur exemple illustrant cette similitude émotionnelle entre les différentes cultures est la berceuse, susceptible d'avoir un effet apaisant pour tous les enfants du monde. En effet, même si on n'arrive pas à en saisir les paroles, il est facile de deviner la vocation première d'une berceuse. D'ailleurs, toutes les mamans, quelles que soient leurs origines, vont adopter un timbre de voix particulier – souvent doux et clair – pour chanter dans le but de calmer et de rassurer leur bébé. «Il en est de même pour les grands primates, comme les gorilles, chez qui les mamans utilisent des vocalisations hautes et sifflantes pour rassurer leurs petits», poursuit le chercheur.
En ce sens, certaines recherches démontrent qu'il est possible de classifier l'émotion véhiculée par la musique – la joie, la peur, la tristesse – de façon assez précise, nonobstant notre bagage musical. Et ce, même si le zouk antillais n'a rien à voir avec la pop américaine ou l'opéra chinois. En fait, c'est une question de rythmes et de tonalité s. «Dans un film de Walt Disney, par exemple, quand il y a une scène heureuse, c'est de la musique sautillante en mode majeur, et quand il s'agit d'une scène triste, c'est de la musique plutôt lente en mode mineur. C'est très stéréotypé et on n'a pas besoin de l'expliquer aux enfants, ils comprennent tout de suite», précise M. Platel.
« COMME NOS GOÛTS MUSICAUX SONT PRINCIPALEMENT FORGÉS PAR NOS SOUVENIRS, LES NOURRISSONS SONT CONSIDÉRÉS COMME DES “ÉPONGES” »
Frisson musical
Or, ce n'est pas parce qu'on arrive à classifier une musique qu'elle allumera automatiquement le circuit du plaisir dans notre cerveau. En effet, on n'a pas tous été exposés aux mêmes esthétiques au fil des ans, et lorsqu'on n'a pas la grille de lecture mémorielle qui nous permettrait de nous repérer, il devient plus difficile d'atteindre le fameux frisson musical, celui qui provoque la chair de poule! «Il y a un jeu de construction d'attentes qui s'opère dans le cerveau et qui ne sera satisfait qu'en contexte familier. Notre cerveau adore faire des prédictions, et si ses prédictions se réalisent, c'est comme si on gagnait. Le cerveau libère alors de la dopamine comme récompense. C'est en quelque sorte un jeu de mémoire», explique le neuropsychologue français.
L'opéra chinois, par exemple, peut être déroutant lorsqu'on n'a pas de points de repère. On n'arrive pas à créer de schémas, de prédictions qui pourraient nous aider à atteindre le climax. Voilà pourquoi les dissonances particulières de cette forme musicale sont douces à l'oreille des initiés, alors qu'elles râpent celles des néophytes. «On peut donc conclure que les réponses hédoniques à la musique sont beaucoup plus liées à des phénomènes culturels qu'aux caractéristiques fondamentales de la musique», affirme Samuel Mehr, directeur du Music Lab du département de psychologie de l'Université Harvard et membre associé du BRAMS, le centre de recherche sur la cognition musicale de l'Université de Montréal.
Bébé éponge
Comme nos goûts musicaux sont principalement forgés par nos souvenirs, les nourrissons sont considérés comme des «éponges», eux qui n'ont aucune donnée emmagasinée à part la voix de leur maman et les quelques mélodies qu'ils ont réussi à capter à partir du sixième mois de gestation. «Dans les mois qui suivent la naissance du bébé, son ouverture au monde diminue graduellement, car son cerveau va sélectionner les récurrences et accorder beaucoup plus d'importance à ce qui est reproduit de façon répétitive dans son environnement. Il y a donc une forme de spécialisation qui se met en place», mentionne Hervé Platel.
Ainsi donc, faire entendre un style musical particulier (musique classique, hip-hop, grunge) à un bébé qui est encore dans le ventre de sa maman pourrait lui permettre de s'accoutumer plus rapidement à ce type de stimuli. Toutefois, «il n'y a pas la moindre preuve que ce genre d'expérience ait un autre effet bénéfi que sur les nourrissons quant à l'amélioration de l'intelligence, des compétences sociales ou de tout autre domaine de la cognition. Ça, c'est un mythe populaire qui refuse de mourir», conclut le spécialiste Samuel Mehr.