Le rythme dans le sang

POUR JEAN-MARC GÉNÉREUX, TOUT EST RYTHME DANS LA VIE, AUTANT LA POIGNÉE DE MAIN QU'IL TEND AMICALEMENT QUE LA MUSIQUE SUR LAQUELLE IL ENCHAÎNE LES MOUVEMENTS. ET CETTE NOTION DE VIE RYTHMÉE, QUI NOUS PERMET DE «DANSER» AVEC LES AUTRES AU QUOTIDIEN, LE CHORÉGRAPHE SE FAIT UN DEVOIR DE L'ENSEIGNER À SON FILS JEAN-FRANCIS ET À SA «PRINCESSE» FRANCESCA, ATTEINTE DU SYNDROME DE RETT. Par Véronique Harvey

JEAN-MARC, COMMENT LA MUSIQUE S'EST-ELLE INTRODUITE DANS VOTRE VIE?

La danse est arrivée dans ma vie quand j'avais 9 ans et que j'ai rencontré France Mousseau, qui est devenue ma femme. Je me suis inscrit à la même école de danse qu'elle pour conquérir son coeur, mais je me suis fait prendre au jeu: je suis aussi tombé en amour avec la danse. Quand je suis arrivé à l'école de danse, je ne connaissais rien à la musique, mais j'ai appris la structure, le rythme et j'ai appris à devenir «maître de la musique». D'ailleurs, selon moi, danser, c'est faire revivre la musique, parce que les gens l'entendent et la vivent autrement à travers le mouvement.

LA MUSIQUE OCCUPE DONC UNE PLACE IMPORTANTE DANS VOTRE VIE...

En fait, ma relation avec la musique est très bizarre. Comme je suis habitué à réagir à la musique, à l'associer à des mouvements, à une histoire, j'ai l'impression de travailler chaque fois que j'en écoute! Je ne peux donc pas écouter de musique en voiture, sinon je m'évade et je conduis moins bien. La musique, c'est du carburant qui allume un feu dans mon corps... et ça brûle fort!

ET CHEZ VOUS, ÉCOUTEZVOUS DE LA MUSIQUE QUAND VOUS VOUS RETROUVEZ EN FAMILLE?

À la maison, on ne fait pas jouer de musique très souvent. Et ça me gêne de l'avouer, mais je n'ai même pas de musique dans mon téléphone. Aucune! À vrai dire, la musique fait partie intégrante de ma vie, mais pour moi, c'est une partenaire de travail, pas une amie.

QUELLE A ÉTÉ L'IMPORTANCE DE LA MUSIQUE DANS L'ENFANCE DE VOS ENFANTS?

Mon fils a 25 ans, mais quand il était plus jeune et qu'on se déplaçait en voiture, je lançais un beat vocal improvisé et on se répondait, comme un scat en jazz. Je voyais qu'il comprenait le rythme. Alors quand il a commencé à danser, je lui ai montré tous mes trucs. En danse, tu peux réagir avant le beat, sur le beat ou après le beat. Il faut décortiquer et comprendre la structure de la musique pour pouvoir bouger dans l'espace. Je trouvais hyper important de lui enseigner ça. Quant à ma fille, qui est lourdement handicapée, elle a connu sa phase de régression alors qu'elle écoutait Annie Brocoli, Carmen Campagne et Arthur L'aventurier. Elle est donc restée accrochée à ça, même si elle a maintenant 21 ans. Mais elle réagit toujours quand je danse devant elle pour l'amuser, que je tape des mains, que je la surprends ou que je lui chante ses chansons favorites. Je lui chante souvent Bonjour les vacances, de Pin-Pon – qu'on écoute chaque jour depuis 20 ans –, et elle me fait toujours de beaux sourires. Même chose quand je lui chante des comptines avec des variations surprenantes pour elle.

« Je ne veux pas devenir trop émotif, mais si je veux vraiment établir un lien avec Francesca, qui ne parle pas et ne marche pas, c'est sûr que je vais lui chanter une chanson. C'est ma façon de communiquer avec elle. »

CROYEZ-VOUS AU POUVOIR DE LA MUSICOTHÉRAPIE?

Oh oui! La musicothérapie peut calmer, apaiser ou stimuler. Ce n'est pas pour rien qu'il y a de la musique douce dans les ascenseurs, par exemple. D'ailleurs, selon moi, il devrait toujours y avoir de la musique à l'école, dans les corridors. Ça stimule l'intellect, ça réconforte et ça ouvre l'esprit. Je lance l'idée comme ça! (rires)

TOUT COMPTE FAIT, CONSIDÉREZ-VOUS QUE LA MUSIQUE VOUS A PERMIS DE CRÉER DES LIENS AVEC VOS ENFANTS?

Oui! Je ne veux pas devenir trop émotif, mais si je veux vraiment établir un lien avec Francesca, qui ne parle pas et ne marche pas, c'est sûr que je vais lui chanter une chanson. C'est ma façon de communiquer avec elle. À travers les chansons, les rythmes qu'elle connaît ou que je crée pour elle, à travers le son de ma voix... J'aurais bien aimé être chanteur, mais la pauvre, elle doit endurer mon manque de talent vocal! (rires) Quand Francesca sourit, ça fait mon bonheur. Quant à mon fils, la musique a été un fil conducteur entre nous parce que je lui demandais de l'interpréter avec son corps. On a donc énormément parlé de musique ensemble. On a eu nos plus beaux moments et nos plus belles conversations autour de la musique. Et c'est de ce rythme-là, que je lui ai enseigné, qu'il s'est servi pour devenir gardien de but au hockey ou pour jouer de la guitare, quand il était jeune. Il s'en sert encore aujourd'hui lorsqu'il fait de la musique sous le nom de DJ JF. Tout ça parce que tandis qu'il grandissait, lui et moi on a connecté grâce à notre amour de la danse et de la musique.