La voix essentielle au lien d'attachement

LA VOIX PEUT S'AVÉRER UN PUISSANT OUTIL POUR SÉCURISER UN POUPON ET CRÉER UN LIEN AVEC LUI. ON FAIT LE POINT SUR CE PHÉNOMÈNE NATUREL, À LA FOIS SCIENTIFIQUE ET POÉTIQUE. Par Julie Loiselle

Les premiers mois de vie d'un nouveau-né sont cruciaux pour son développement émotionnel, qui passe entre autres par la création d'un lien d'attachement sécurisant avec la mère, le père ou tout autre adulte significatif pour lui. La science démontre que la voix de cette personne joue un rôle important dans le processus, et par conséquent, dans le bien-être global de l'enfant.

Au cours du siècle dernier, de nombreux experts se sont intéressés à l'importance du lien d'attachement dans l'évolution de l'enfant. En 1951, le psychiatre et psychanalyste britannique John Bowlby a notamment rédigé un rapport à ce propos pour l'Organisation mondiale de la santé: «Le nourrisson, comme le jeune enfant, doit vivre une relation chaleureuse, intime et continue avec sa mère (ou son substitut permanent), dans laquelle tous deux trouvent de la satisfaction et du plaisir.» Pour Bowlby, il ne faisait aucun doute que priver un bambin d'un tel lien aurait des conséquences néfastes à long terme, alors qu'en revanche, la qualité de ce lien d'attachement pouvait avoir un impact positif sur la vie adulte de l'enfant, teintant ses relations avec les autres et sa façon de gérer le stress.

L'IMPORTANCE DU REGARD

Comme on peut s'en douter, le lien d'attachement se façonne non seulement par l'ouïe, mais également par l'odorat et le toucher. Ce qu'on sait moins, en revanche, c'est que la vue a elle aussi un rôle à jouer. «Le regard est le moyen de communication le plus élémentaire et il prédispose à l'attachement, affirme le psychologue Marc Pistorio. Durant la première année de la vie d'un bébé, il y aura environ un nombre incalculable d'interactions entre lui et le premier répondant à ses besoins – dans bien des cas, sa mère. Grâce à cette répétition de soins qu'elle lui donne, l'enfant se dit: “Je reconnais son visage, j'ai l'impression qu'il revient plus souvent que n'importe quel autre. Il ou elle sera ma figure d'attachement.”»

Entre gazouillis et petits mots doux

Si, pour la maman, les balbutiements de son lien d'attachement surviennent souvent aussitôt qu'elle aperçoit le résultat positif sur son test de grossesse, il en va autrement pour l'enfant, qui va chercher à s'attacher une fois venu au monde.

Certes, dans le ventre de sa mère, le foetus a la capacité d'entendre les voix qui l'entourent dès la 26e ou la 28e semaine. Or, bien qu'elles lui apportent un certain réconfort dès sa venue au monde, les bébés ont d'abord des comportements d'attachement indifférencié. L'attachement sélectif se crée au fil des interactions répétées entre le parent et l'enfant. Voilà pourquoi il n'est pas rare qu'un étranger réussisse à calmer un nouveau-né: son lien privilégié avec une personne en particulier n'est tout simplement pas encore créé.

Selon Marc Pistorio, docteur en psychologie clinique, l'enfant établira toutefois ce lien sécurisant assez rapidement avec l'adulte qui est le plus à l'écoute de ses besoins: «Ce qui fera la différence, c'est la répétition des gestes de disponibilité. Autrement dit, lorsque le bébé pleure, la personne en question, souvent la mère, ira le voir, le prendra dans ses bras, lui parlera, et l'enfant, progressivement, reconnaîtra son visage, son odeur, la texture de sa peau et le ton de sa voix.»

C'est d'ailleurs de façon innée que le parent transforme sa voix lorsqu'il s'adresse à son petit, en variant l'intonation et le rythme... ce qui favorise la création du lien d'attachement. Une fois que le nourrisson a acquis la maturité neurologique et auditive requise pour distinguer la fréquence d'un son – grave ou aigu –, il a le pouvoir de reconnaître l'intention émotionnelle du timbre vocal, indique en substance une étude canadienne publiée en 1999. L'enfant répond alors mieux aux demandes d'interactions ludiques adaptées pour lui et sa façon de réagir favorise en outre le sentiment d'intimité avec la personne qui s'en occupe, explique la psychothérapeute britannique Sue Gerhardt dans son ouvrage Why Love Matters – How Affection Shapes a Baby's Brain.

Dans les faits, si la voix réconfortante du parent aide à solidifier le lien d'attachement chez son bébé, l'inverse est aussi vrai. Selon Marc Pistorio, le parent est connecté à son rejeton et comme «programmé» pour réagir à ses larmes: «Vous savez, c'est insupportable un enfant qui pleure. On en a mesuré les décibels et constaté qu'ils sont à une fréquence qui perturbe le fonctionnement du cerveau. C'est-à-dire que, de façon concrète, c'est comme si le cerveau se disait: “Je peux entendre pleurer un autre bébé, mais pas le mien.”».

L'impact de la voix

La voix de l'enfant sert donc à son tour de canal pour solidifier cette relation précieuse, mais elle génère aussi des émotions – à l'instar de la musique... bien que celle-ci soit plus agréable pour les tympans! «Je crois que la musique agit comme un régulateur émotionnel, note Marc Pistorio. On réagit fortement à la musique, qui tantôt nous donne de l'énergie, tantôt nous rend nostalgique ou nous amène à pleurer (...) On sait que la mémoire auditive est extrêmement grande. Pour moi, la musique n'est pas loin de la mélodie de la voix du parent.»

Pour les petits, les berceuses chantées par ses parents auront ainsi un effet réconfortant. On peut dire sans se tromper qu'aux oreilles du bébé, cette voix familière qui le sécurise vaut de l'or: «Je ne suis pas musicien, mais je suis certain que la voix qui parle à son enfant pourrait être traduite en notes sur une partition. Il y a là quelque chose de très mélodique, une sonorité qui a le pouvoir d'apaiser», assure le psychologue. La voix qui vient du coeur a certes beaucoup de résonance.