IL Y A BELLE LURETTE QUE LES COMPTINES S'INSCRIVENT DANS L'UNIVERS DES TOUT-PETITS. CES FORMULES ENFANTINES, REVISITÉES OU CRÉÉES DE TOUTES PIÈCES, DISPOSENT MAINTENANT DE TOUS LES ACCORDS NÉCESSAIRES POUR CONNAÎTRE UN SUCCÈS PLANÉTAIRE, RIEN DE MOINS! Par Annie St-Amour
Ce n'est pas d'hier que les comptines attisent la curiosité de la communauté scientifique. Elles ont fait l'objet de plusieurs études qui ne laissent planer aucun doute quant à leur utilité dans le développement de l'enfant. Chantées ou parlées, accompagnées ou non d'une gestuelle, elles sont transmises de génération en génération et font ainsi office de gardiennes de la tradition orale.
À la différence des berceuses, qui visent à calmer ou à endormir, les comptines «sont utilisées pour susciter l'attention et l'éveil chez les nourrissons et les placer ainsi dans l'état optimal pour être réceptifs, interagir avec les personnes importantes (leurs parents, par exemple) et les événements de leur environnement, et apprendre de nouvelles choses», lit-on dans un article publié en 2017 dans la Revue internationale d'éducation de Sèvres. Selon son autrice Laurel Trainor, psychologue de la cognition et professeure à l'Université ontarienne McMaster, il n'y a pas que l'intention initiale qui distingue la berceuse de la comptine, il y a aussi le rendu. En effet, les sonorités douces qui émanent de la première s'effacent au profit de «sons brillants, rythmés, aux consonnes fortement accentuées, souligne Mme Trainor dans le même article. Les analyses acoustiques montrent que les mères varient davantage la gamme tonale et exagèrent davantage les sons accentués lorsqu'elles chantent une comptine plutôt qu'une berceuse.»
Par ailleurs, la comptine englobe la notion de jeu et d'attribution de rôles. La classique et universelle Am stram gram, tout comme Ma petite vache a mal aux pattes, en sont probablement les meilleurs exemples. Cet aspect ludique allié à une dimension pédagogique en fait un précieux instrument d'apprentissage. Sur un mode allégro, mentionnons que chanter ces formules enfantines profi te aux sphères langagière, spatiotemporelle, socioaffective et psychomotrice des bébés qui les écoutent.
« LA COMPTINE ENGLOBE LA NOTION DE JEU ET D'ATTRIBUTION DE RÔLES. LA CLASSIQUE ET UNIVERSELLE AM STRAM GRAM, TOUT COMME MA PETITE VACHE A MAL AUX PATTES, EN SONT PROBABLEMENT LES MEILLEURS EXEMPLES. »
L'approche accrocheuse
Parmi les éléments mis de l'avant pour expliquer l'effi - cacité des comptines, il y a la répétitivité. L'emploi récurrent des mêmes mots et refrains s'avère en effet un outil formidable pour la mémoire. Même que selon une étude parue en 2017 dans la revue Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, la répétition serait considérée comme un facteur favorable à l'immixtion de vers d'oreille dans nos cerveaux.
Durant la même période, l'hameçonnant Baby Shark, mis en ligne en 2016, poursuivait son ascension et commençait à faire jaser. Inconnue de la majorité à son lancement, cette comptine issue des colonies de vacances américaines a été rééditée par une entreprise sud-coréenne, qui a infusé à la version qu'elle propose une bonne dose de sonorités propres à la K-Pop. Et la vidéo déposée sur YouTube frôle à ce jour les neuf milliards de vues.
Professeure au département de psychologie à l'Université Goldsmith, à Londres, Lauren Stewart a participé à cette recherche sur la mécanique liée aux vers d'oreille. Dans un épisode du balado Brains On! consacré au phénomène, elle explique qu'«un ver d'oreille est un fragment musical qui nous vient à la mémoire et se répète au moins une fois sans qu'on ait quelque contrôle que ce soit sur l'expérience». Il «résulterait du fait que nos cerveaux possèdent un répertoire de milliers de mélodies auxquelles nous avons été exposées au cours de notre vie».
Les compositions musicales les plus susceptibles de nous rester en tête présentent plusieurs similitudes, précise l'analyse, dont un tempo plus rapide et des paroles simples, voire répétitives. Et ce, peu importe le style de musique ou le public cible! Cela signifi e qu'une chanson pop destinée aux ados – avec son refrain «Rah, rah-ah-ah-ah / Roma, roma-ma-ma», Bad Romance de Lady Gaga a ainsi été identifi ée comme chanson velcro par des participants à l'étude – est tout aussi apte à s'immiscer dans nos pensées qu'une comptine revisitée à la manière K-pop. Voilà entre autres pourquoi la chanson Baby Shark, qui enchaîne les «doo, doo, doo, doo, doo, doo», excelle à ce chapitre.
Partition sur mesure
Les chansons velcro partagent un autre point commun: l'élément surprise. Bien que leur structure mélodique suive une progression typique, celle-ci se démarque par des intervalles uniques. «C'est une combinaison de quelque chose de familier pour le cerveau, donc prévisible et agréable, mais juste assez intéressant pour capter l'attention», ajoute Lauren Stewart, qui a également collaboré à la mise au point de la Happy Song avec son collègue Caspar Addyman, lui aussi psychologue à l'Université Goldsmith, et Imogen Heap, l'autrice-compositrice et interprète de la chansonnette.
Leur mandat? Créer une chanson sur mesure ayant pour noble cause de faire le bonheur des bébés! Sur les quatre mélodies testées auprès de 26 bébés et leurs parents, c'est la version au rythme le plus rapide qui s'est imposée. Une préférence qui serait liée à la fréquence cardiaque plus élevée chez les nourrissons.
Le bon tempo, la répétition, l'utilisation de consonnes occlusives, l'ajout de bruits gentils (animaux, éternuements, rires de bébé, etc.), le tout enrobé d'une voix féminine (grande favorite): la science aurait-elle trouvé la recette parfaite pour faire sourire un auditoire qui porte encore une couche? Dans le cas de la Happy Song, il semble que ce soit mission accomplie!
Sceptique? Nous vous invitons ici à troquer le support papier pour une plateforme audionumérique. Car on aura beau enchaîner les mots, c'est l'oreille qu'il faudra prêter pour aller à la rencontre de ces comptines nouvelle génération. I